Fictions animales
Apulée, Miguel de Cervantès, Franz Kafka, João Guimarães Rosa
Par Nicolas Correard, Carole Boidin, Florence Godeau et Michel Riaudel.
France met. & monde : 3€ jusqu'à 25€, 6€ jusqu'à 50€, 9€ jusqu'à 100€, 12€ au-delà 100€ DOM-TOM : 8€
Traitant du nouveau sujet de littérature comparée au programme des agrégations externe et interne de Lettres modernes, l’ouvrage propose tous les éléments nécessaires à la réussite du candidat.
Comme tous les Clefs-concours de Littérature comparée, l’ouvrage est structuré en cinq parties :
Fiche technique
- Référence
- 460758
- ISBN
- 9782350307589
- Hauteur :
- 17,8 cm
- Largeur :
- 12 cm
- Nombre de pages :
- 504
- Reliure :
- broché
SOMMAIRE
Introduction
REPÈRES et analyses
Apulée : L’Âne d’or
Repères
Apulée et son temps
• Un auteur multiscius ?
• L’Empire au iie siècle : culture romaine, culture grecque
• La Seconde sophistique et la littérature latine impériale
• “Romans grecs”, “romans latins”
• Cadres et pratiques de la littérature romaine : quelques repères
• Pluralisme religieux, mysticismes, philosophie
L’Âne d’or questions de composition
• Dispositif narratif
• Organisation des onze livres
• Symétries, effets de miroir, motifs unifiants
Questions de traduction
Analyses
D’un titre à l’autre
Sources et intertextualité
• La tradition grecque des histoires de l’homme changé en âne
• Sermone isto Milesio : la tradition des histoires milésiennes
• Fabula graecanica : des histoires “à la grecque”
Périple satirique ? Roman d’initiation ? Des interprétations en débat
Un modèle littéraire fondateur
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Repères
Destins croisés de Bergantes et de Cervanza
Deux “nouvelles” dans un recueil “exemplaire”
Réception, imitations et histoire critique : une niche de l’histoire littéraire ?
Analyses
Cultures humanistes, littérature baroque
La ruée vers l’animal : sources et modèles
La traduction : une course d’obstacles pour le lecteur
Kafka : “La métamorphose” et “un rapport pour une académie”
Repères
Contexte historique
Tentatives d’évasion hors de la sphère paternelle (1883-1924)
Genèse et publication
Analyses
Une écriture ascétique
Questions de traduction
Les rouages de la Machine
Bestiaire
Guimarães rosa : “Mon oncle le jaguar"
Repères
Du médecin au diplomate
L’écrivain
Une synthèse du modernisme et du régionalisme ?
Énigmes et mystères
Analyses
Parcours éditorial
Sertão, gerais, veredas
Enquêtes de terrain
Une culture imprégnée de tupi
Horizons anthropologiques
THÉMATIQUES
Hybridations génériques et linguistiques
Apulée : L’Âne d’or
Vocis immutatio : travail du style et de la langue
Desultoria scientia : mélange des genres et intertextualité
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Nouvelle ou dialogue ?
Du picaresque au second degré
Parodies
Théâtralités
Pot-pourri satirique
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Hybridité et intertextualité
Creuser la fosse de Babel
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Dans la fabrique d’une langue
“História”, “estória” et “causo”
Expérimentations narratives : énonciation et composition
Apulée : L’Âne d’or
Un pacte de lecture inaugural
Varias fabulas conseram : comment rassembler des histoires ?
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
La relation entre les deux nouvelles : boîtes chinoises, poupées russes et vertiges baroques
La forme de l’informe : comment composer une “vie”
La dynamique récit/commentaire
Un chien-poulpe chimérique
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Le maître de la parole
Labyrinthe diégétique et prouesse rhétorique
Le personnage principal
Apulée : L’Âne d’or
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Un chien protéiforme
Mal faire / mal dire
Humanoïdes
Scipion philosophe, commentateur, ami
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Métamorphoses ?
Apulée : L’Âne d’or
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Croire ou ne pas croire
Un tour de passe-passe magique
Fiction animale/fiction démonologique
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Satire et représentation de la société : normes et marges
Apulée : L’Âne d’or
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
La société des gens ordinaires : gueux, bergers et bourgeois
À exclure : Gitans et Morisques*
Pédants et poètes : de la folie des intellectuels
Cervantès conservateur ? Un ordre à la fois légitimé
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Animal littéraire ou animal figuré ?
Apulée : L’Âne d’or
Une galerie d’animaux connus du lecteur
Animaux allégoriques et symboliques
Perturbations : quand l’animal prend le dessus
Une narration à bonnet d’âne ?
Animaux énigmatiques
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Symboliques et emblématiques canines
Des chiens philosophes : cynismes
Des chiens saints ou des chiens démons ?
Des chiens chiens
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Zoologie subjective
Dans la peau des jaguars
Mythologiques
Un traité “naturaliste”
Les relations humanité/animalité
Apulée : L’Âne d’or
L’animal imaginé à partir de l’homme
L’animalisation comme châtiment : des effets contrastés
Violence, bestialité, monstruosité
Dégager l’homme de l’animal ?
La nourriture carnée et son interdiction
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Intelligences avec l’animal
Bêtes humaines : métaphorisation et contamination
Employés et battus
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Persistance (de l’humanité dans l’animalité) et résistance (de l’animalité contre l’humanité)
Violence et bestialité (des hommes)
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Rire, passions et émotions
Apulée : L’Âne d’or
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Une érotique ironique
Cupidité, vanité, hypocrisie
Une satire lumineuse, plutôt que sanglante
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
Interpréter : la question du sens
Apulée : L’Âne d’or
Menteurs et incrédules : les métaphores de la fiction
Énigmes, oracles et sagacité
Présences de la magie
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Un horizon évangélique
Des chiens siléniques, et d’un sens caché
Des “pasteurs” et des puissants, ou de la nécessité d’une lecture à plus haut sens
À défaut de changer le monde, y voir clair
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
L’initiation du lecteur
Apulée : L’Âne d’or
Structures initiatiques
Égarer le lecteur : les déplacements de l’âne et les fausses pistes
Solliciter la participation du lecteur
Cervantès : “Le Mariage trompeur” et “Le Colloque des chiens”
Jeux de perspectives
Discrétion, dissimulation : de l’art de ne pas (tout) dire
Le chien-lecteur : flairer le sens
Kafka : “La Métamorphose” et “Un rapport pour une académie”
Guimarães Rosa : “Mon oncle le jaguar”
SYNTHÈSE
L’imaginaire métamorphique, ou comment sortir de son espèce par la fiction
L’inspiration animale : création par hybridation
Monstres de littérature
Grotesques
Ensauvager la langue
Manifestes de l’irréalisme
Impossibilia
Le jeu du chat et de la souris
Pour de rire ou pour de vrai ?
Animaux siléniques et protéisme interprétatif
Un regard singulier sur la faune humaine : l’individu animalisé face à la société
Soi-même comme un animal
Espèces de sociétés
Organismes sociaux
Contre-pouvoirs ?
Primitivismes ?
Trop humains… ou pas assez ?
Qui veut faire l’homme (ou la femme), fait la bête
Régimes carnivores
Un devenir-humain est-il possible ?
Y a-t-il de l’animalité dans l’animal littéraire ?
Des symboles qui explosent
Surcharges métaphoriques et détonation des imaginaires
Malédiction ou salut ?
De la figuration à l’incarnation
Incarnations et désintégration
Reconceptions de l’animal
Braire, aboyer, siffler, rauquer… ou, comment se faire entendre ?
Poétiques de la relation
La violence est une
De la mort : sur la ligne de faille éthique
De l’amour : zoophilies
OUTILS
Bibliographie
Glossaire
Nicolas Corréard est maître de conférences en littérature comparée à l’université de Nantes. Spécialiste des origines du roman moderne européen (roman quichottesque, roman picaresque, “histoires comiques”) et des relations entre littérature et histoire des idées dans l’Europe de la première modernité, il a rédigé les pages consacrées à Cervantès ainsi que l’introduction et la synthèse.
Carole Boidin est maîtresse de conférences en littérature comparée à l’université Paris Nanterre. Spécialiste de l’antiquité gréco-romaine et des mondes arabes, des traditions narratives anciennes en Europe et dans les mondes arabes, et de leur réception moderne, elle a rédigé les pages consacrées à Apulée.
Florence Godeau est professeure de littérature comparée à l’université Jean Moulin-Lyon III. Spécialiste de l’étude comparée des formes narratives aux xixe et xxe siècles, elle est l’auteure de travaux portant, en particulier, sur Proust, Kafka, Musil, T. Mann, Woolf et Beckett. Dans le présent volume, elle a rédigé les pages consacrées à Kafka.
Michel Riaudel est professeur d’études lusophones à la faculté des lettres de Sorbonne Université. Spécialiste des échanges culturels entre la France et le Brésil et du modernisme brésilien, traducteur de grands noms de la littérature moderne brésilienne, il a rédigé les pages consacrées à Guimarães Rosa.
"• Un auteur multiscius ?
Magie, érotisme, énigmes et frissons : telle semble être la recette à succès de L’Âne d’or. D’une construction narrative remarquable, l’œuvre semble en outre transmettre des contenus spirituels et philosophiques d’une manière agréable et intrigante, ce qui fut la clef de sa survie jusqu’à nous, et de son considérable succès dans l’histoire de la littérature. L’auteur supposé de l’œuvre est tout aussi fascinant.
La plupart des informations dont nous disposons concernant Apulée, jusqu’à son praenomen supposé, Lucius, sont tirées de ses œuvres, notamment de l’Apologie, plaidoyer qu’il aurait composé pour se défendre à l’occasion d’un procès, ainsi que des Florides, compilation de discours où l’on trouve quelques détails autobiographiques [Lévi, 2014b]. C’est d’ailleurs la datation de son procès, vers 157-158 de notre ère, qui permet de situer sa naissance vers 125, probablement à Madaure (actuelle M’daourouch en Algérie), comme l’indiquent plusieurs manuscrits ainsi que le témoignage d’Augustin, qui le désigne sous le nom d’Apuleius Platonicus Madaurensis (Apulée, philosophe platonicien de Madaure), dans sa Cité de Dieu. Cette origine est d’ailleurs curieusement associée à Lucius dans L’Âne d’or (XI, 27), alors qu’il s’était jusque-là présenté comme originaire de Corinthe – incohérence souvent considérée par la critique comme une signature de l’auteur, ou un ajout de copiste, sous l’effet d’une lecture autobiographique de l’œuvre, fréquente jusqu’à la Renaissance. Apulée ne mentionne cependant L’Âne d’or dans aucun de ses autres textes. C’est par la traduction manuscrite, ainsi que des témoignages indirects, que cette attribution s’est stabilisée. Nous considérerons cependant, pour la suite de cette présentation, qu’Apulée en est bien l’auteur.
Madaure se situe alors dans la province d’Afrique, c’est une colonie romaine, administrée par un sénat que le père d’Apulée a dirigé en tant que magistrat supérieur (duumvir). Apulée fait donc partie d’une élite qui dispose de la citoyenneté romaine, et s’il se définit, dans son Apologie, en tant que “demi-numide, demi-gétule” (Apologie, XXIV), du nom de peuples ayant longtemps résisté à la domination romaine, c’est que cette appellation a été utilisée contre lui, pour le discréditer en évoquant des origines obscures, et non pour revendiquer une identité “postcoloniale” par anticipation [sur “l’africanité” d’Apulée, voir Lee, Finkelpearl et Graverini, 2014].
Après s’être familiarisé avec la rhétorique et la philosophie à Carthage, il se rend à Athènes et y approfondit ses connaissances, tout en étudiant également la musique, la géométrie et la poésie. Il reçoit ainsi une éducation conforme au modèle de la fameuse paideia grecque, qui vise, en cultivant l’esprit et le corps, à former des citoyens accomplis, modèle repris dans les écoles platoniciennes qu’Apulée fréquente assidûment. Il acquiert ainsi une solide culture lettrée [Plantade et Vallat, 2018] et on peut le qualifier de multiscius (polymathe, savant dans plusieurs domaines), adjectif que Lucius revendique pour lui-même dans L’Âne d’or (IX, 13). Ses voyages le mènent jusqu’en Asie Mineure et probablement à Rome ; il en retire, une fois rentré en Afrique, une réputation d’homme savant, capable de produire de brillants discours sur des sujets variés, ce que confirment plusieurs traités qui lui sont attribués, à savoir des résumés ou des traductions de textes platoniciens (Sur Platon et sa doctrine, Sur le dieu de Socrate, Sur le monde), mais aussi des ouvrages scientifiques, pour la plupart perdus.
Au cours de l’un de ses voyages, il épouse la veuve Pudentilla, mère de son ancien condisciple à Athènes, Pontanius. Cela lui vaut l’inimitié de la famille du premier mari, qui l’accuse d’avoir séduit la veuve par des opérations magiques afin de capter sa fortune. Pontanius étant mort dans l’intervalle, il se trouve également accusé de meurtre. La magie, à l’époque, est prise au sérieux et recouvre des savoirs et des pouvoirs multiples (v. Interpréter : la question du sens). La pratiquer pour nuire à autrui est passible de sanctions légales importantes. C’est dans le cadre de ce procès qu’il aurait prononcé le plaidoyer de défense qui nous est parvenu sous le titre d’Apologie, dans lequel il saisit l’occasion de définir la vraie science et de la distinguer des pratiques criminelles dont on l’accuse. Apulée y défend une conception englobante du savoir : le philosophe, le médecin, le magicien, qui observent le monde pour en connaître la nature et les fins, affichent un même esprit de curiosité, qui élève spirituellement l’individu. Apulée fut d’ailleurs prêtre d’Esculape, dieu de la médecine, célèbre pour permettre la guérison par les rites d’incubation (consultation du dieu pendant le sommeil) pratiqués dans ses sanctuaires. Dans les sciences, la religion ou la philosophie, de nombreuses pratiques peuvent donc, selon lui, passer à tort pour nuisibles, mais il n’est pas magicien : il est philosophe. Plus ironiquement, il conclut son plaidoyer en mentionnant des descriptions littéraires fameuses de magiciens, où ses accusateurs auraient pu, selon lui, trouver des façons de rendre leur accusation plus solide. Il conviendra donc de ne pas négliger, en abordant dans L’Âne d’or la présence de la magie, aussi bien ses liens avec les sciences et la philosophie que sa présence topique dans la littérature (v. Métamorphoses ?)."