Romans du “réalisme magique”
Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, Salman Rushdie, Les Enfants de minuit, Yan Lianke, La Fuite du temps
par Caroline Lepage, Marianne Hillion et Philippe Postel
France met. & monde : 3€ jusqu'à 25€, 6€ jusqu'à 50€, 9€ jusqu'à 100€, 12€ au-delà 100€ DOM-TOM : 8€
Traitant d’ouvrages au programme 2024 et 2025 de l’agrégation externe de Lettres modernes, l’ouvrage propose tous les éléments nécessaires à la réussite du candidat.
Comme tous les Clefs-concours de Lettres modernes, l’ouvrage est structuré en quatre parties :
Fiche technique
- Référence
- 460898
- ISBN
- 9782350308982
- Hauteur :
- 17,8 cm
- Largeur :
- 12 cm
- Nombre de pages :
- 608
GARCÍA MÁRQUEZ, CENT ANS DE SOLITUDE
Une œuvre symbole, métaphore et emblème au cœur de grands enjeux critiques
RUSHDIE, LES ENFANTS DE MINUIT
Naissance d’un écrivain, entre l’Inde et l’Angleterre
Un espace littéraire tripartite
La fatwa et ses conséquences : vie cachée, personnage public
Le tournant américain, Rushdie écrivain de la mondialisation
Écrire l’Inde depuis l’Angleterre
YAN LIANKE, LA FUITE DU TEMPS
Un écrivain local, national et international
Au confluent de plusieurs courants littéraires
Le réalisme magique et le mythoréalisme
Une structure romanesque désenchantée
THÉMATIQUES
Le narrateur et les personnages
Cent ans de solitude
Les Enfants de minuit
L’art du conteur
Padma, un public idéal ?
L’antagonisme entre le narrateur-protagoniste et le lecteur
Le fantasme de l’unité
contre l’identité instable des personnages
La Fuite du temps
Le Narrateur
Des personnages aux contours indécis
Systèmes de personnagesCent ans de solitude
Les Enfants de minuit :
LE TEMPS ET LA MÉMOIRE DÉRÉGLÉS
Le temps destructeur
L’ombre de la fin
Les errances créatives de la mémoire
La Fuite du temps
Le temps linéaire chahuté
Le temps cyclique et la transformation
Le retour à l’origine et le temps mythique
Histoire, pouvoir et nation
Cent ans de solitude
Les Enfants de minuit
Un protagoniste “enchaîné à l’histoire”
Contrer le récit d’unité nationale
Filiations coloniales
Préserver et réinventer, la chutnification de l’histoire
La Fuite du temps
Absence et présence de l’histoireLe traitement satirique de l’histoire
Le fonctionnement de l’histoire
Espaces
Cent ans de solitude
Les Enfants de minuit
Bombay, ville “impure” de la modernité
La ville, assemblage de fictions contradictoires
Le rejet du “pays de la pureté”
Le Cachemire et les Sundarbans, paysages hostiles
La Fuite du temps
Le village au centre
Environs immédiats
Villages voisins
Liens avec le reste du pays et le reste du monde
La campagne vs la ville
Mouvements
Cent ans de solitude
Les Enfants de minuit
Mouvements forcés : chassés, exilés, expulsés
Exils et métamorphoses
Une traversée de la société indienne
La Fuite du temps
Entrées
Sorties
Allers et venues
Endo- ou exogamie ?
Bilan
Mythes, croyances, magie
Cent ans de solitude
Les Enfants de minuit
La tension entre réel et surnaturel
Combattre ou succomber à l’illusion ?
Remanier les mythes
Un orientalisme ironiqueLa Fuite du temps
Religion et mythologie dans la tradition chinoise
Dieux, revenants, immortels
Les rites
Les superstitions
Les mythes
Le merveilleux
Les merveilles
Les prodiges
La vision holiste du ciel et la terre
Amour et sexualité
Cent ans de solitude
Les Enfants de minuit
Exaltation de l’impureté et sexualités frustrées
Amours destructrices
Femmes menaçantes
La Fuite du temps
Le triangle amoureux
La pulsion érotique
Une société patriarcale
La sexualité infantile et adolescente
Les sens
Cent ans de solitude
Les Enfants de minuit
Une écriture multisensorielle
Revaloriser le bas corporel
Synesthésies magiques
Caroline Lepage est professeur des Universités à Paris Nanterre.
Marianne Hillion est agrégée d’anglais et maîtresse de conférences d’études anglophones à l’Université de Strasbourg.
Philippe Postel est maître de conférences HDR en littératures comparées à Nantes Université.
LES ENFANTS DE MINUIT
L’histoire de l’Inde contemporaine a une place centrale dans Les Enfants de minuit, qui embrasse plus de soixante ans d’histoire (de 1915 à 1978) et met en scène des personnalités politiques (Indira Gandhi, Muhammad Ayub Khan, Sam Manekshaw), aux côtés d’êtres de fiction. La formation d’historien du romancier n’est sans doute pas étrangère à la réflexion que propose cette “métafiction historiographique” [HUTCHEON, 1989] sur la manière même dont l’histoire de l’Inde s’est écrite, d’autant plus qu’il s’inspire du manuel d’histoire de Stanley Wolpert, voix historique dont il conteste la validité [LIPSCOMB, 1991]. Le texte donne aussi à penser le rôle primordial de l’imagination collective et des récits dans la construction de la nation, précurseur des analyses de Benedict Anderson (Imagined Communities est publié en 1983). Toutefois, si la littérature postcoloniale a joué un grand rôle dans la formation des nations nouvellement indépendantes, notamment par la réécriture d’une histoire auparavant écrite depuis la perspective des puissances impériales, Les Enfants de minuit, écrit à la veille des années 1980, s’éloigne de cette tradition. Rushdie se montre sceptique vis-à-vis du nationalisme et met en récit l’éclatement de la nation, l’échec des promesses de renouveau et d’unité dans la diversité, mais exprime aussi sa nostalgie pour le désordre d’une nation plurielle. En s’inventant des parentés multiples, le protagoniste invite son auditoire à interroger tout récit des origines et à considérer la nature arbitraire des discours historiques et la dimension instable de toute vérité.
Un protagoniste “enchaîné à l’histoire”
La trame du roman est tout entière fondée sur la croyance du narrateur en une connexion fatale entre sa vie personnelle et l’histoire de la nation indienne, résultant de sa naissance à minuit le 15 août 1947: “mon destin [est] indissolublement lié à celui de mon pays” (I, p. 13). La métaphore courante de la connexion entre individu et nation est littéralisée par le narrateur, qui inverse la causalité historique en pensant l’individu responsable de l’histoire [KORTENAAR, 1995, p. 43]. Ce “solipsisme fou” de Saleem a initialement été pensé par l’auteur comme un procédé comique, et est devenu ensuite une méthode narrative puissante, qui forme la colonne vertébrale du roman [RUSHDIE, 2017].
Comme il l’expose dans le chapitre “L’enfant Kolynos”, l’interférence entre histoire personnelle et nationale se manifeste de manière littérale ou métaphorique, active ou passive, quatre modalités qui se mêlent sans cesse – autre exemple de tentative de mise en ordre du narrateur. D’une part, la connexion entre destin individuel et histoire nationale peut être métaphorique, mise en évidence par des parallèles, tel que celui établi entre le bombardement d’Hiroshima et le déferlement d’insultes de Naseem lorsqu’elle découvre le mariage non-consommé de sa fille. Cette connexion est surtout mise en évidence par le corps de Saleem, son visage difforme étant cruellement assimilé aux contours de l’Inde (II, p. 409), sa tonsure de moine, son doigt coupé et sa stérilisation symbolisant par analogie la nation amputée des territoires attribués au Pakistan, en écho au drap troué et à la cavité dans la poitrine de son grand-père. La menace de pulvérisation du corps du narrateur, qui lutte avec acharnement contre sa désintégration, est un miroir déformé de la fragmentation de la nation. Neil Kortenaar analyse la littéralisation comique de la personnification de la nation: “Dans Les Enfants de minuit, la métaphore de la nation comme personne devient littérale, et donc comique: si l’Inde était une personne, elle serait grotesque, et, comme Saleem, sa paternité serait sujette à débat, sa capacité à raconter son histoire discutable” [KORTENAAR, 1995, p. 46, notre traduction]. Ce rapport est parfois créé par simple écho verbal, comme celui qui structure le chapitre “L’assèchement et le désert”.