On croit comprendre le monde avec ça ! Entretiens mémoriels avec Henri Mitterand
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On croit comprendre le monde avec ça !

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Entretiens mémoriels avec Henri Mitterand

Clive Thomson

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France met. & monde : 3€ jusqu'à 25€, 6€ jusqu'à 50€, 9€ jusqu'à 100€, 12€ au-delà 100€ DOM-TOM : 8€

    À travers ses entretiens avec Clive Thomson, Henri Mitterand livre un regard lucide et mordant sur trois quarts de siècle de vie intellectuelle française et nord-américaine. De l’université expérimentale de Vincennes à Columbia (New York) en passant par l’université de Toronto et la Sorbonne Nouvelle, il a formé des générations d’enseignants et de chercheurs, avec notamment la création du centre Zola dont il est un des plus grands spécialistes et l’éditeur dans la “Pléiade”.
    Henri Mitterand a modifié
fondamentalement notre perspective sur la littérature française des XIXe et XXe siècles avec l’introduction de la sociocritique et de la génétique des textes. Un des représentants de la French Theory, il jouit aux États-Unis d’un immense respect. En France, il a profondément marqué le monde de l’édition, en particulier scolaire, avec les collections qu’il a dirigées chez Nathan. Ayant exercé son leadership bienveillant sur des cohortes de jeunes chercheurs, il livre ici les ressorts profonds de ses propres choix.

Fiche technique

Référence
460651
ISBN
9782350306513
Hauteur :
21 cm
Largeur :
15 cm
Nombre de pages :
240
Reliure :
broché

Avant-propos
Une amitié de cinquante ans

Premier entretien
Le destin passe et vous avez le coup de chance

Deuxième entretien
Une méthode, mais en même temps une poussée d'intérêt passionné

Troisième entretien
Relations extérieures

Quatrième entretien
Lisez Proust !

Derniers mots

Chronologie des principaux événements de la vie d'Henri Mitterand

Bibliographie des travaux d'Henri Mitterand

Choix d'articles
Chronotopies romanesques : Germinal
Pour une sémantique textuelle de Mallarmé
La quatrième dimension
Histoire/fiction : Les Onze de Pierre Michon
À la recherche du rythme

Index

Clive Thomson est professeur de Littérature française à l’école des langues et littératures, université de Guelph (Canada), et psychanalyste.
Il a publié les ouvrages suivants : Georges Hérelle, archéologue de l’inversion sexuelle “fin de siècle” (éditions du Félin, 2014), Mikhaïl Bakhtin: His World and Ours (in Bakhtiniana: Journal of Discourse Studies, 2016), Autobiographie et homosexualité en France au XIXe siècle de Philippe Lejeune (éditions de la Sorbonne, 2017), Fières archives : documents d’homosexuels fin de siècle (Atlande, 2017, en collab.).

Clive Thomson : Qu’est-ce qui vous a amené à choisir votre sujet de thèse sur Zola ?

Henri Mitterand : Le sujet de thèse, ça a été à la fois une erreur et un bienfait, parce que je pensais faire une carrière de linguiste et puis finalement Zola m’en a détourné. Il m’en a détourné, pourquoi ? Parce qu’il y a une autre date, capitale, dans tous les virages que j’ai pu faire, ça a été la rencontre du docteur Jacques Émile-Zola. Je travaillais sur Zola, je faisais des enquêtes de vocabulaire sur l’œuvre de Zola, l’Assommoir, etc. Je n’étais pas absolument passionné, et je savais qu’il existait un fils de Zola, mais j’étais timide pour ça, je n’avais jamais osé sonner à sa porte. Je savais qu’il était parisien, médecin. Et puis, un beau jour, en 1957, je me suis dit : “Je prends le risque” et j’ai écrit au docteur Zola : “Je travaille sur l’œuvre de votre père, je serais heureux d’obtenir une rencontre avec vous…” Le lendemain, coup de téléphone, c’était le docteur Zola, me disant : “Je suis ravi qu’un jeune universitaire s’intéresse à l’œuvre de mon père, venez me voir, je vous montrerai des documents…” Et ça, ça a été décisif. Il habitait rue Pigalle, avec sa femme, qui était médecin aussi, très gentille. Ils ont été adorables tous les deux, et on est devenus très amis. Ils étaient vraiment plus âgés que nous et ils nous considéraient un peu comme des jeunes gens, non pas de leur famille, mais ils avaient une attitude assez paternelle. C’est si vrai que lorsque Marie-Hélène est née en 1959, Mme Zola a offert des couverts en argent, etc. Elle nous a même prêté le petit berceau en bois que vous avez peut-être vu à Saint-Père, blanc, dans lequel avait dormi sa petite-fille, Brigitte. Ils ne l’ont pas récupéré, je l’ai gardé. Nous avions donc des relations de collaboration et d’amitié très étroites. Le docteur Zola avait des archives, il avait des éditions originales, il m’a montré tout cela. Il avait le manuscrit de “J’accuse...!”, les lettres de Zola à son épouse, ainsi qu’à Jeanne, la mère de ses enfants. Enfin, bref… Pour un jeune chercheur qui découvre ces trésors, c’est une illumination. Très peu d’universitaires français s’étaient intéressés à Zola à l’époque. Citons la grande thèse de Guy Robert, celle de René Ternois, les articles de Marcel Girard. J’avais peu d’aînés dans le domaine des études zoliennes.

Compte rendu de l’ouvrage dans les Cahiers Edmond et Jules de Goncourt, 27, 2022

Clive Thomson, professeur de langue et de littérature françaises à l’université de Guelph (Canada), ami et ancien doctorant d’Henri Mitterand, a obtenu de ce grand maître qu’il procède à une autobiographie intellectuelle sous la forme de quatre entretiens « mémoriels ». Ceux-ci ont gardé leur oralité première, si bien que l’évocation du passé, le retour en arrière vers la scolarité et vers l’enfance laissent vibrer au présent, loin de tout apprêt, le timbre d’une voix.

C’est l’école républicaine d’autrefois, sélective mais formatrice, qui donne le premier coup de pouce d’un destin qui transformera le fils d’un cheminot, dont un instituteur a repéré l’intelligence et la capacité de travail, en intellectuel de grande renommée. Henri Mitterand passe le concours des bourses, ce qui lui permet d’effectuer sa scolarité au collège d’Avallon. Le second coup de pouce, ce sera l’enseignement donné, en classe de seconde, par Paul Mathias, jeune normalien qui l’incitera à entrer en hypokhâgne à Dijon, puis à intégrer une Khâgne au lycée Henri IV à Paris. Il y préparera le concours d’entrée à l’ENS où il sera admis en 1948. Henri Mitterand évoque de manière suggestive l’atmosphère « marxisante » qui régnait à l’École dans l’immédiat après- guerre. On croyait alors à la venue prochaine d’une révolution, l’engagement politique participait d’un romantisme généreux mais aussi d’un acte de foi qui s’illusionnait sur les régimes staliniens. Le militantisme, marqué par la rédaction de quelques articles dans Clarté, n’empêchera pas le jeune normalien d’être admis à l’agrégation de grammaire en 1951. Après son service militaire, il deviendra pensionnaire de la Fondation Thiers où il préparera une thèse sous la direction de Robert-Léon Wagner : « la langue de Zola ». La trajectoire d’Henri Mitterand va être infléchie par une rencontre. En 1957, le jeune chercheur fait la connaissance du docteur Jacques Émile- Zola qui lui montre ses archives et qui lui conseille d’explorer à la BN les dossiers préparatoires aux Rougon-Macquart. Gallimard souhaitait alors publier ce cycle romanesque en Pléiade. Henri Mitterand, fut choisi comme éditeur, sur la recommandation de Jean-Claude Fasquelle auprès de qui il avait été déjà recommandé par le docteur Jacques Émile-Zola. Il en résultera l’édition en 5 volumes de la saga zolienne, riche des analyses des avant-textes, que, seul, Guy Robert avait jusqu’ici explorés. Henri Mitterand souligne que cette édition restait proche encore de la philologie lansonnienne. Mais il ne n’était pas interdit de penser ! On peut découvrir dans les cinq volumes de la Pléiade, la mise en place progressive d’une méthode qui sera celle de la génétique textuelle.

Pendant les sept ans que durera ce lourd travail, Henri Mitterand enseigna dans la jeune et dynamique université de Besançon. Il y fera la connaissance de Bernard Quémada, écrira dans les Cahiers de lexicologie, participera à la SELF (Société d’étude de la langue française), découvrira avec éblouissement la linguistique structurale. Nommé en 1965 maître de conférences au Collège universitaire de Reims, il entreprendra l’année suivante l’édition des Œuvres complètes d’Émile Zola pour le Cercle du Livre précieux. Pendant la période rémoise (1965-1968), il entra en contact avec les éditions Nathan. Sous sa direction seront publiés, à l’usage des collèges, des manuels de grammaire qui tenaient compte du cadre épistémique nouveau résultant du développement de la linguistique structurale, puis des manuels de français, à l’usage des lycées, fondés sur la notion de genre, mais ne négligeant pour autant l’histoire littéraire.

De la crise de 1968 et de son retentissement sur l’université, Henri Mitterand garde des souvenirs ambivalents. D’un côté, l’ancien modèle sorbonnard, académique lui semblait obsolète, mais on ne pouvait pas non plus tomber dans la révolution permanente « des comités parisiens ou

provinciaux » (p.54). Sa nomination en 1968 à l’Université expérimentale de Vincennes confortera ce jugement. Certes, on trouvait, parmi les littéraires, d’excellents professeurs : Jean-Pierre Richard, Jean-Claude Matthieu, Claude Duchet. L’erreur, « lourde de conséquences fatales », avait été de laisser s’inscrire près de trente mille étudiants « pour des locaux conçus pour en accueillir trois ou quatre mille ». Le fonctionnement par assemblées générales, l’action destructrice des maoïstes rendaient particulièrement difficile le gouvernement de cette université. Henri Mitterand retient comme trait positif l’enseignement donné le soir à des étudiants qui étaient déjà engagés dans la vie active, la fondation de deux revues : Langue française, Littérature. La première, en collaboration avec Nanterre, était ouverte aux recherches de la linguistique structurale. La seconde témoignait d’aspirations plurielles, elle illustrait l’approche sociocritique, soucieuse d’analyser l’inscription du discours social dans le texte littéraire, mais aussi la thématique telle que Jean- Pierre-Richard la comprenait ou bien encore la textanalyse chère à Jean-Bellemin-Noël. En s’entretenant avec Clive Thomson, Henri Mitterand analyse comment la critique génétique, autre courant privilégié dans Littérature, deviendra une micro-génétique, c’est-à-dire une génétique du détail dont il ne discute pas la pertinence mais qu’il aurait voulu compléter d’une « critique scénarique » se donnant « comme objet les grandes unités du texte » (p. 72). Le bilan des dix ans passés à Vincennes est donc riche d’aventures intellectuelles. Il régnait, note Henri Mitterand, dans le département de français de cette université, « une ambiance de curiosité, de création, de modernité » qu’il ne retrouvera pas apparemment à Paris III où il fut nommé en 1978.

Les entretiens ne manquent pas de faire apparaître la dimension internationale de la carrière d’Henri Mitterand qui sera « visiting professor » à Sarrebruck, Stanford, Toronto, Philaldelphie, Montréal, et professeur à titre permanent à Columbia. C’est à Toronto qu’il créera l’équipe franco- canadienne qui éditera la Correspondance de Zola. Les dix volumes qui furent publiés en vingt ans constituent « une belle expérience collective ». Nommé à Columbia en 1988, il y trouvera le cadre où il pourra commencer à écrire la monumentale biographie que l’on connaît. Elle illustre un rapport de compréhension respectant le personnage étudié, compréhension qui permet une étude esthétique et critique des œuvres.

Toutefois, Henri Mitterand ne s’est pas limité au corpus zolien. Sur les cinq articles, qui après une chronologie, une bibliographie, viennent clore le volume, un seul est consacré à Zola. Les quatre autres ont pour objets Flaubert, Mallarmé, Péguy, Pierre Michon. Bien qu’ils témoignent d’approches différentes, tous participent de l’analyse textuelle. La liste serait longue des écrivains qui de Balzac à Pierre Michon, en passant par Flaubert, Goncourt, Aragon, Céline, ont sollicité l’attention d’un critique dont la culture est immense. Ce livre d’entretiens qui retrace si bien une trajectoire intellectuelle, en faisant apparaître les moments essentiels d’une carrière brillante, suggère en filigrane, même si la vie privée est mise à l’écart, la présence attentive d’une compagne qui apparaît en personne à trois reprises, mais qui s’inscrit également dans un « nous » récurrent. Un événement douloureux est mentionné mais la pudeur fait prévaloir la discrétion. La transcription d’une parole rhapsodique n’empêche pas l’affirmation de traits récurrents. Henri Mitterand apparaît comme un grand travailleur, un chercheur infatigable, un homme d’ouverture toujours attentif aux voies nouvelles que pourrait offrir la critique. Son énergie et ses qualités d’écoute expliquent qu’il ait pu diriger autant de travaux collectifs. Il a le culte de l’amitié et ces « entretiens mémoriels » contiennent de beaux portraits de Bernard Quémada, de Gérard Genette, de Michael Riffaterre. On pourrait les lire d’un point de vue sociologique (comment on devient un grand maître), ils doivent être appréhendés tout autrement. Parce qu’ils font appel aux souvenirs

personnels, tout en restituant les fastes passés d’une époque où la critique littéraire était imaginative, pensive et même créatrice, ils permettent au lecteur de rencontrer une personne qui, aidée certes par les coups de pouce du destin, a magnifiquement choisi sa vie.

Je venais juste d’achever la rédaction de ce compte rendu lorsque j’appris la mort soudaine d’Henri Mitterand. Il venait de publier un livre, Zola, la mort du père, dont je ne pensais pas qu’il serait le dernier. Nous éprouvâmes, tous, une immense tristesse à l’annonce de ce décès. Courtois, généreux, se tenant au courant de toutes les recherches, il dégageait une autorité sereine et bienveillante. Nous lui devons, Pierre Dufief et moi, d’avoir pu écrire la biographie des frères Goncourt pour les éditions Fayard. Mais notre dette ne se borne pas à cela. Un grand maître ensemence pour le futur, donne à penser, suscite un questionnement, appelle une reconnaissance admirative. Les éditions, les livres et les articles nombreux d’Henri Mitterand resteront des médiateurs indispensables entre les œuvres qu’il a étudiées et leurs futurs lecteurs.

Jean-Louis Cabanès

Compte rendu de l’ouvrage dans Le Petit Chose : Bulletin de l’Association des Amis d’Alphonse Daudet, n°111, 2022, p. 257-260

Le recueil de textes publié chez Atlande en 2021 par Clive Thomson propose quatre entretiens avec le regretté Henri Mitterand, décédé quelques mois plus tard. S’y adjoignent un court avant- propos et un épilogue, qui permettent de préciser le cadre méthodologique et le contexte dans lequel les échanges ont été tenus. Si ces documents précieux forment le cœur de la proposition, ils sont bonifiés, en sus, d’une chronologie de la vie du chercheur, d’une bibliographie exhaustive de ses travaux ainsi que d’un choix d’articles. De tels compléments destinés à faciliter l’appréciation des entretiens nourrissent la compréhension du propos, illustrent celui- ci ou le circonstancient, en offrant des renseignements connexes et des référents concrets.

C’est un livre curieux. Il se présente comme une traversée de la carrière universitaire d’Henri Mitterand, dont l’influence – considérable – se mesure qualitativement à tant d’égards autour de Zola et de son œuvre, de même que, plus largement, autour des travaux consacrés à la littérature naturaliste et au réalisme en général. L’’empan est large et multiplie les centres d’intérêt. Qui d’autre qu’un ami et confrère de longue date (un demi-siècle, quand même) pour déterminer la trajectoire à privilégier ? Au fil des questions que pose Clive Thomson à Henri Mitterand, c’est le second XXe siècle que nous voyons défiler, puis le début du XXIe : il y a là deux ou trois époques phares de l’institution française (l’après-guerre, mai 68 et ses suites, le tournant sociologique poststructuraliste des années 2000) dont on découvre les enjeux d’une manière autrement plus concrète que dans un livre d’histoire ou sur Wikipédia!

Les époques abordées sont vues de l’intérieur à travers le commentaire lucide, généreux, franc mais toujours chaleureux, d’une personne qui les a vécues, et subies. Qu’il s’agisse de l’écolier, du collégien, du khâgneux, du normalien, du professeur de linguistique ou du chercheur zolien, c’est en effet dans les contraintes et les obstacles affrontés par Henri Mitterand que le récit trouve ses couleurs les plus éclatantes. Quelques temps forts : la transition, dans le milieu littéraire, entre l’étude des sources du texte et celle de sa genèse, exemplairement illustrée dans l’édition des Rougon-Macquart de la Pléiade; la création et les premières années de l’université de Vincennes, où l’on croise Jean-Pierre Richard, Henri Meschonnic, Claude Duchet, même Michel Foucault et Louis Aragon; la décision de quitter ce milieu et d’aller s’établir au Canada, à l’Université de Toronto, afin de s’épargner les « dédales de la réunionnite »; puis le vaste chantier des trois volumes de la biographie de Zola, préparés à l’Université Columbia de New York... Toutes ces pages sont vives d’une vie bien remplie. Relevés, les défis (mot auquel Clive Thomson invite son interlocuteur à réfléchir) passent, dans ce livre toujours affable et pondéré, moins comme des anecdotes que comme la matière même du travail d’un enseignant-chercheur qui, dans son élégante cordialité, a su faire la part des choses sans s’interdire de faire la différence.

La structure globalement chronologique du livre sert la lecture et demeure suffisamment souple pour s’agrémenter d’escapades ana- ou proleptiques, toujours appréciées. Vient en tête l’exemple de cette saisissante soirée au cinéma en 1942 : cet excursus survient au détour d’une anodine question à propos de Paris. Nous voici palpitant soudain, plongé dans la grande capitale occupée, à déjouer le couvre-feu avec l’adolescent qu’était Henri Mitterand.

Les souvenirs, les confidences, les coups de chapeau, les coups de gueule, les articles et la chronologie qu’on trouve dans ce petit volume nous frappent non seulement parce qu’ils vibrent de la vitalité du fait vécu, mais aussi parce qu’ils procurent des enseignements précieux et regorgent de perspectives à retenir, entre autres sur le malheureux déclin de l’influence

structuraliste dans la recherche universitaire. Il faut espérer avec Henri Mitterand que l’art de lire et de comprendre le travail langagier du texte ne se perdra pas et pourra continuer à fleurir autour de Zola comme autour des autres écrivaines et écrivains, français ou étrangers, quel que soit le siècle.

Toujours convaincu que l’attention soutenue prêtée par l’analyse littéraire au texte et à son grain procure justesse, souplesse et pertinence aux vues plus larges qu’on peut en dégager, l’auteur du Discours du roman, du Regard et le signe, de L’Illusion réaliste, du Roman à l’œuvre et de bien d’autres ouvrages indispensables se fait ici comme ailleurs le défenseur d’un parti pris textualiste, conçu comme propre à enrichir, approfondir et dynamiser la réflexion sur l’œuvre littéraire, de même qu’à singulariser tout travail du texte. On en prend à témoin les articles sur Mallarmé, sur Flaubert et sur Bakhtine, qui débroussaillent chacun tout un champ d’étude. Il est heureux que leur reproduction en fin de volume ait été rendue possible.

On croit comprendre le monde avec ça! Par cette formule, celui qui fut si longtemps la figure de proue des études zoliennes s’amuse de ses propres expériences de lecture à quinze ans : notamment Germinal, L’Assommoir, La Curée. En faire le titre du recueil témoigne d’un parti pris qu’on saluera, celui d’insister sur le ton sans prétention de ce livre où l’amitié, la bonne humeur et les pointes d’humour se recommandent par la constante modestie de cette grande personnalité des études dix-neuviémistes.

Ainsi, l’ensemble composite de textes que Clive Thomson a colligés en collaboration avec Henri Mitterand intrigue d’abord, intéresse ensuite, et ne manque pas de satisfaire. La focale est placée sur les institutions d’enseignement de la littérature française en France et ailleurs, et pourtant c’est l’homme qui ressort, c’est lui qu’on retient, sans effort, y compris dans l’impressionnante et instructive section bibliographique. Voilà un livre étonnant et utile. On remerciera Clive Thomson d’en avoir eu l’initiative et d’avoir su mener le projet à bon port, sachant toutefois que notre reconnaissance doit d’abord aller vers Henri Mitterand et ses efforts sans cesse renouvelés pour nous faire progresser sur la mer houleuse des études littéraires.

Sébastien Roldan, Professeur associé, Université de Winnipeg

Compte-rendu de l'ouvrage dans Les cahiers naturalistes, rédigé par Aurélie Barjonet

"Dans ce livre, les zoliens apprendront qu'actuellement, Henri Mitterand, travaille sur la figure du père de Zola qui lui permet de retraverser tous "les secrets de son œuvre" (p.124)"

"A la demande de Clive Thomson, Henri Mitterand retrace avec clarté les différents courants de pensée qui ont formé la Nouvelle critique, explique ce qui distinguait les différentes revues littéraires les unes des autres, et raconte les combats qui furent les siens pour faire évoluer les manuels scolaires et universitaires, de sorte que ces entretiens mémoriels intéresseront les spécialistes de l'histoire culturelle, de l'histoire de l'université, et de l'histoire de l'édition."

"Le contenu des quatre entretiens est parfaitement structuré, des mots clés venant guider les lecteurs. Clive Thomson a également eu l'excellente idée de nous donner, en fin d'ouvrage, une "chronologie des principaux événements de la vie d'Henri Mitterand", ainsi qu'une bibliographie très parlante de l'ensemble de ses travaux, préfaces et présence médiatique incluses ! L'index, à la fois nominum et rerum, est remarquable."

Thomson, Clive. On croit comprendre le monde avec ça ! Entretiens mémoriels avec Henri Mitterand. Atlande, 2021, pp. 240, ISBN 978-2350306513

Cet ouvrage original est le fruit de la rencontre de deux zoliens hors normes réunis pour offrir aux lecteurs et lectrices un voyage dans le temps où on voit se fabriquer un incontournable universitaire français, des années d’école maternelle aux multiples fonctions universitaires et pédagogiques qu’il occupera tout au long de sa carrière. Ce livre, désormais à valeur testamentaire, offre des images improbables du parrain de la recherche zolienne dans des cours de boxe ou de judo, en accordéoniste ou encore en motard ou en animateur radio publié sous pseudonyme. 

Clive Thomson, zolien canadien bien connu des spécialistes de la correspondance de Zola et des Trois villes et ancien étudiant de Henri Mitterand, nous fait entrer d’emblée dans l’ouvrage par son désir de commémorer son amitié pour l’homme, tout en orientant les échanges vers les années de formation et de cheminement professionnel. Il nous offre ici quatre longs entretiens, une “chronologie des principaux événements de la vie” (131) de son interlocuteur, une bibliographie minutieuse, et une sélection de cinq articles qui témoignent bien de la grande polyvalence du fondateur des études zoliennes. 

Fils de “petites gens” (17), Mitterand incarne un parcours exemplaire du mérite scolaire et du rôle clé que peuvent jouer les enseignants dans le cheminement à long terme de leurs élèves. Ces entretiens sont à quelques reprises de véritables hommages à l’école et aux professeurs, ceux qui ont ouvert à l’élève le monde du savoir, mais aussi ceux qui sur le chemin ont pu lui dire : “Ne restez pas là. Essayez de passer à l’étape supérieure” (112).  Mitterand prendra part lui-même à la conception de manuels scolaires de littérature pour le lycée et restera très attentif aux réformes pédagogiques qui vont suivre et dont plusieurs le laisseront dubitatif, pour le moins.

Les professeurs, ce sont aussi tous ces examinateurs et tous ces collègues, théoriciens de la littérature, philosophes, penseurs divers des sciences humaines, figures mythiques de l’université française du XXe siècle qui vont peu à peu peupler ces échanges. Les confidences de Mitterand sont un portrait, photos à l’appui, de la réflexion sur la littérature dans les universités en France et ailleurs, en Amérique du Nord notamment, de la moitié du XXe siècle à aujourd’hui. 

On y suit, entre autres, la naissance et l’évolution de la recherche zolienne, dénigrée à ses débuts mais devenue peu à peu un champ d’étude ancré dans des maisons d’édition, des centres de recherche et des équipes dynamiques, le tout grâce à Mitterand et à son aptitude à s’entourer d’alliés et de collaborateurs de qualité. Les zoliens seront touchés par la succession des réalisations au fur et à mesure des rencontres et des postes en France, au Canada et aux États-Unis. L’amitié avec Jacques Émile-Zola est évidemment un jalon important dans cette aventure. On assiste à l’“illumination” (38) du contact initial du chercheur avec les manuscrits originaux. La publication des Rougon-Macquart dans la Pléiade est alors la première pierre dans l’édifice de la reconnaissance officielle de l’œuvre zolienne. Plus tard, le séjour régulier d’un semestre tous les deux ans à Toronto offre de nouvelles collaborations et voici ouvert le chantier de la correspondance : une véritable école qui a appris à de multiples jeunes chercheurs, dont Thomson, comme aux plus aguerris, une nouvelle façon de traiter les archives dans des relations de partenariat cruciales à la production des onze volumes des lettres de l’auteur de “J’accuse.” Le poste à Columbia de la fin des années 80 à 2004 offrira, pour sa part, les conditions idéales pour produire l’immense biographie de Zola parue chez Fayard entre 1999 et 2002. Les séjours plus ou moins longs hors France auront mené Mitterand du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Partout, il ira essaimant sa passion de Zola, son amour de la littérature et son grand intérêt pour les diverses voies théoriques qui se sont ouvertes peu à peu pour lire le monde et la littérature. Il déplore à ce propos que “l’univers français intellectuel, littéraire, artistique [soit aujourd’hui] placé à l’écart” (116).

Thomson est souvent aussi curieux des lectures qui ont accompagné cette trajectoire singulière. Des livres jeunesse à la quasi-prescription de Proust sur laquelle finit le dernier entretien, Mitterand qui a, entre autres, découvert Zola à l’adolescence, passe d’un usage des œuvres comme prisme pour appréhender le monde“on croit comprendre le monde avec ça,” dira-t-il doncà la lecture-délectation de ses dernières années.

Les cinq articles choisis pour illustrer l’extraordinaire palette d’intérêts de Mitterand portent le premier sur le temps et l’espace dans Germinal à travers la notion bakhtinienne du chronotope et le deuxième sur les mots de Mallarmé et la possibilité d’une exégèse de la poésie mallarméenne via une nécessaire approche holistique de l’œuvre. Le troisième article sélectionné est un lumineux commentaire d’un poème en prose de Charles Péguy lu comme une des grandes déclarations d’amour pour Paris, inconnue cependant et cachée derrière les positions politiques de l’écrivain. C’est un texte sur Les Onze de Pierre Michon qui vient illustrer l’intérêt de Mitterand pour l’extrême contemporain et on y voit le chercheur réfléchir à la pertinence de la notion de roman historique pour parler plutôt, à propos de l’œuvre de Michon, de roman philosophique. Thomson choisira cependant de clore la série des articles par un retour sur le XIXe siècle, flaubertien cette fois, dans une des parutions les plus récentes de Mitterand. On finit donc sur l’observation et la mise en lumière des caractéristiques rythmiques du “phrasé” de Flaubert, un travail sur le texte en soi qui fait écho au dernier entretien dans lequel Mitterand regrettait l’abandon de la littérarité par la recherche contemporaine en littérature.

L’ouvrage de Thomson est une composition d’une grande cohérence où les divers morceaux se recoupent pour offrir un tableau le plus complet de l’homme : sa vie, ses douleurs, sa pensée et ses engagements, mais aussi toute son époque. Pour les dix-neuvièmistes et pour les chercheurs en littérature en général, ce livre est un document-témoignage d’une effervescence de la pensée critique, théorique, pédagogique et zolienne des cinquante dernières années.

Compte-rendu de l'ouvrage dans Les cahiers naturalistes, n° 95-2021
Il faut féliciter Clive Thomson d’avoir, à l’été 2019, convaincu Henri Mitterand de retracer son parcours professionnel dans le cadre de quatre entretiens. Ce professeur de littérature française (qui est aussi psychanalyste, mais également ancien doctorant d’Henri Mitterand) était la personne désignée pour faire parler cet ami de cinquante ans, recueillir les souvenirs de celui qui n’accepte pas l’étiquette du « grand spécialiste de Zola », tout au plus celui de « doyen d’âge » des études zoliennes (p. 118).
Les spécialistes du maître de Médan découvriront ici – s’ils ne le savaient pas encore – qu’Henri Mitterand est autant littéraire que linguiste, autant acteur du monde universitaire que du monde éditorial, et surtout qu’il a écrit sur bien d’autres auteurs que Zola (voir p. 118). Cet éclectisme se trouve d’ailleurs souligné par le choix de ses cinq articles republiés ici, en fin d’ouvrage, puisqu’ils portent sur : Zola (1990), Mallarmé (1990), Péguy (2014), Michon (2016), et Flaubert (2018).
Dans ce livre, les zoliens apprendront qu’actuellement, Henri Mitterand travaille sur la figure du père de Zola qui lui permet de retraverser tous « les secrets de son oeuvre » (p. 124). Comme moi peut-être, ils liront avec un intérêt tout particulier le récit du travail collectif autour de l’édition de la Correspondance de Zola en 10 volumes, entre Paris et Toronto (1975-1995) et l’esprit dans lequel Henri Mitterand a écrit sa biographie de Zola en trois volumes (p. 96). Clive Thomson sent bien que dans ces trois volumes (écrits entre 1995 et 2001) son interlocuteur ne s’est pas identifié à Zola, ou n’a pas été mu par l’hagiographie, alors ils cherchent ensemble de meilleurs termes pour qualifier le rapport du biographe vis-à-vis du biographié et en viennent à envisager une forme de « substitution », avec la dose nécessaire de « complicité », de « passion » et de « distance critique » (p. 97-98).
Mais ce texte n’est pas, il faut l’énoncer clairement, un texte de zoliens à destination de zoliens. C’est le récit d’une « trajectoire » (p. 17) à la fois exceptionnelle et exemplaire, celle d’un enfant d’ouvriers repéré par un professeur, encouragé par un autre, un élève qui passe son certificat pendant la Seconde Guerre mondiale, un étudiant auquel l’on conseille toujours de « passer à l’étape supérieure » (p. 112) ‒ ce qui, à ses yeux, fut sa grande chance. Grandi en Bourgogne, il parvient à intégrer la khâgne d’Henri IV, puis l’ENS ; il réussit l’agrégation, entre à la Fondation Thiers, et rapidement occupe un premier poste universitaire, à Besançon. La mémoire restitue avec précision des paysages, quelques anecdotes, et surtout la mentalité d’une époque. Henri Mitterand est un universitaire français de son temps, qui a vécu les événements de mai 68 de l’intérieur, a participé à l’expérience de l’université de Vincennes, mais il se singularise par une deuxième vie universitaire, à l’étranger. S’il fut, comme d’autres, invité aux quatre coins du monde et fit une expérience plus longue d’échange au Canada, il décrocha ‒ à l’âge de la retraite française ‒ un poste de professeur permanent à la prestigieuse université new-yorkaise de Columbia, où il resta quinze ans.
À la demande de Clive Thomson, Henri Mitterand retrace avec clarté les différents courants de pensée qui ont formé la Nouvelle critique, explique ce qui distinguait les différentes revues littéraires les unes des autres, et raconte les combats qui furent les siens pour faire évoluer les manuels scolaires et universitaires, de sorte que ces entretiens mémoriels intéresseront les spécialistes de l’histoire culturelle, de l’histoire de l’université, et de l’histoire de l’édition. Mémoriels, ces entretiens sont aussi actuels dans la mesure, par exemple, où Henri Mitterand donne son avis sur les programmes d’aujourd’hui, qu’il juge inadaptés et même réactionnaires (p. 53). Côté recherche, il paie sa dette à Michael Riffaterre (p. 91, 95), rappelle les travaux de Jean Bellemin-Noël (p. 64, 72) et d’autres, dit son admiration pour Gérard Genette (p. 118-120)… S’exprimant sur les tendances contemporaines, il regrette qu’on ait parfois jeté le bébé avec l’eau du bain (p. 70), même s’il décèle, notamment dans l’ethnocritique, l’héritage de la sociocritique (p. 67) et, derrière elle, de la pensée marxisante.
Henri Mitterand insiste beaucoup sur la nécessité, aujourd’hui, de travailler sur la littérarité de l’œuvre zolienne, ou plutôt sur la valeur littéraire, la singularité d’un art, « l’imagination des formes » (p. 70). Ce grand philologue regrette l’actuel positivisme d’une certaine recherche zolienne parce qu’il trouve que « l’archivistique, [...] la documentation historique » éludent les questions essentielles (p. 118). Il déplore également la facilité avec laquelle, à Médan, les politiques valorisent toujours l’auteur de J’Accuse ! (p. 105). De la même façon qu’il se met à distance de certaines évolutions de la recherche, il dit aussi sa détestation du mot « naturalisme », à propos de Zola (p. 120-121). S’il admet une connivence avec Zola et même une passion, il omet de dire explicitement qu’il partage avec lui une grande discipline. Le goût du travail se lit dans la valorisation des classes préparatoires, des concours, et le regret régulier qu’il exprime à la pensée de tout ce qui lui a fait perdre son temps, comme les réunions administratives, et surtout le militantisme ou les bals. Pourtant, telles qu’il nous les décrit, ces deux dernières activités de jeunesse étaient du travail elles aussi ! On l’aura compris, les souvenirs ne lissent pas le passé et n’oblitèrent pas le présent. Henri Mitterand, en de multiples endroits, fait entendre un point de vue critique.
Enfin, dans ces entretiens, le parcours professionnel croise forcément le parcours personnel : ses parents, sa femme, ses enfants, le socle de toute une vie. Henri Mitterand ne se confie pas sur sa rencontre avec Hélène mais son épouse est partout : elle est dans ce « nous », qui s’en va « passer l’automne de 1970 à Toronto », dans l’université où ils rencontreront Clive Thomson (p. 61), Hélène est là, dans le bureau de sa deuxième carrière, à Columbia, « penchée sur l’ordinateur » (p. 95), et c’est ensemble que le couple affronte la « douleur inguérissable » de perdre leur fille (p. 115, 128).
Le contenu des quatre entretiens est parfaitement structuré, des mots clés venant guider les lecteurs. Clive Thomson a également eu l’excellente idée de nous donner, en fin d’ouvrage, une « chronologie des principaux événements de la vie d’Henri Mitterand », ainsi qu’une bibliographie très parlante de l’ensemble de ses travaux, préfaces et présence médiatique incluses ! L’index, à la fois nominum et rerum, est remarquable.
Aurélie BARJONET

Accueil de l'ouvrage sur le site palmesacademiques.ca

C’est avec grand plaisir que je vous annonce la parution d’un nouvel ouvrage. Notre collègue Clive Thomson (University of Guelph, Ontario, Canada) vient de faire paraître On croit comprendre le monde avec ça ! Entretiens mémoriels avec Henri Mitterand aux Éditions Atlande, collection « Témoignages » (2021, 240 p.)

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Au nom de l’APFUCC, je lui adresse toutes nos félicitations !
Valérie Dusaillant-Fernandes, présidente de l’APFUCC


À travers ses entretiens avec Clive Thomson, Henri Mitterand livre un regard lucide et mordant sur trois quarts de siècle de vie intellectuelle française et nord-américaine. De l’université expérimentale de Vincennes à Columbia (New York) en passant par l’université de Toronto et la Sorbonne Nouvelle, il a formé des générations d’enseignants et de chercheurs, avec notamment la création du centre Zola dont il est un des plus grands spécialistes et l’éditeur dans la “Pléiade”.

Henri Mitterand a modifié fondamentalement notre perspective sur la littérature française des XIXe et XXe siècles avec l’introduction de la sociocritique et de la génétique des textes. Un des représentants de la French Theory, il jouit aux États-Unis d’un immense respect. En France, il a profondément marqué le monde de l’édition, en particulier scolaire, avec les collections qu’il a dirigées chez Nathan. Ayant exercé son leadership bienveillant sur des cohortes de jeunes chercheurs, il livre ici les ressorts profonds de ses propres choix.

Recension sur la newsletter de l'association AIZEN

UPPER RIGHT: Long-term friend of the AIZEN Clive Thomson recently published "On croit comprendre le monde avec ça ! Entretiens mémoriels avec Henri Mitterand", a superb volume of interviews with the critic and great Zola specialist (éditions Atlande)!